Responsable : Laurent Di Filippo (CREM, Université de Lorraine)
Cet axe cherche à comprendre les rapports entre mythes, imaginaires et temps. En tant que récits, les mythes articulent différentes temporalités.
Les mythes, entre récits et formes d’altérité
À travers la narration, différents temps sont mis en scène, notamment dans les récits cosmogoniques ou eschatologiques qui présentent « le début » et « la fin des temps », ou des personnages figurant le temps comme le dieu Chronos. En cela, les contenus des sources des récits mythiques constituent une forme d’imaginaire diégétique spécifique. Classiquement, les mythes sont des représentations collectives imagées, énonçant les bases de croyances anciennes ou non chrétiennes. Dans cette perspective, les mythes sont aussi considérés comme des récits imaginaires liés à des cultures éloignées dans le temps (préchrétiennes) ou dans l’espace. Les mythes feraient ainsi partie de l’imaginaire d’autres peuples et seraient notamment les « croyances des anciens », comme l’évoque une des premières définitions du terme en français et par extension, « les croyances des autres » (Schaeffer, 19991). Ils peuvent alors constituer des ressources pour définir des formes d’altérité et, dans certains cas, des altérités utilisées comme marqueurs identitaires lorsqu’ils sont repris au sens de récits ou croyances de nos ancêtres pour s’opposer au monde moderne, qui allie souvent monothéisme et monde industrialisé. Ce type d’usage peut être observé dans les pratiques néo-païennes par exemple. Dans ce cas, il convient alors de s’interroger sur les réutilisations, dans des discours sur le monde moderne, de récits imaginés comme ayant des origines lointaines. Ils ont été étudiés en référence à l’histoire des religions (mythologie comparée) puis d’un point de vue structural, comme un métalangage découpable en mythèmes (Lévi-Strauss). Il s’agira toutefois de dépasser les approches classiques pour mettre en avant les recherches contemporaines qui prennent en considération les contextes d’énonciation ainsi que les enjeux de pouvoirs. Pourront également entrer dans cet axe les rapports que les mythes entretiennent avec les rites.
La réception des mythes
Par ailleurs, les processus de réception des mythes ‒ entre leurs sources connues et leurs usages contemporains ‒ sont multiples et les récits subissent de nombreuses transformations au cours du temps. On les retrouve utilisés de façon totale ou partielle à différentes époques. De nos jours, de nombreuses productions des industries culturelles et créatives y font référence, aussi bien en fantasy que dans les comics ou dans un contexte ludique. Citons à titre d’exemple les réécritures récentes des mythes nordiques comme Ragnarøk de Villy Sørensen, Norse Myth de Neil Gaiman, la collection mythes nordiques récemment publiée chez LeMonde, ou encore les mythes grecs que l’on retrouve dans des séries télévisées comme Hercule ou des jeux vidéo tels que God of War, ou la mythologie égyptienne qui a inspiré la franchise Stargate. A travers leur réception, les mythes sont réinterprétés de manière créative en suivant des imaginaires propres au temps présent.
Mythologies contemporaines et esprit du temps
Au-delà de ces reprises de traditions anciennes ou éloignées, certains auteurs évoquent des mythes ou mythologies contemporain(e)s. Cette idée invite à questionner la manière dont des mythes peuvent servir à définir une période temporelle, qui serait, alors, différente des précédentes. Cependant, il faut également s’interroger sur les fondements qui désignent les phénomènes sociaux qu’évoquent des auteurs comme Roland Barthes (Le Catch, la DS, les martiens, le détergent, etc.) ou Edgar Morin (l’amour, le bonheur, la jeunesse, le revolver, etc.), en utilisant le même terme qui sert à désigner les récits provenant de la Grèce antique ou du Moyen Âge scandinave. Pour Barthes, le mythe est une parole, un système sémiologique qui existe dans toutes les sociétés y compris la nôtre. Etudier les mythes de notre propre société revient alors à exercer un regard critique, à dénoncer certaines croyances contemporaines, certains impensés. Suivant ce questionnement, on peut également se demander ce qui constitue l’« Esprit du temps », traduction de la notion allemand de « Zeitgeist » qui renvoie aux grandes lignes de la pensée d’une époque, et évaluer sa pertinence par rapport aux notions d’imaginaire et de mythologie.
1 Schaeffer Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, « Poétique », 1999.