Responsables : Rémi Cayatte (Univ. de Toulouse) et Orlane Messey (C3S, Université de Franche-Comté)

La notion d’imaginaire constitue un objet d’analyse heuristique permettant de comprendre le fonctionnement, l’émergence et la perpétuation de « mondes sociaux ». L’enjeu est ainsi d’étudier comment différents imaginaires (re)structurent des activités sportives et/ou ludiques, comment ces activités peuvent être les lieux d’émergence de nouveaux imaginaires, et comment les acteurs négocient, à partir d’imaginaires partagés, le cadre de leurs pratiques. Ces questionnements visent à prolonger les réflexions sur les usages scientifiques, méthodologiques et pluridisciplinaire des imaginaires sportifs et ludiques par le prisme de leurs possibilités de détournements, entre émancipation des cadres traditionnels, et dynamiques de création et d’appropriation.

Loisirs, jeux et sports alternatifs : entre émancipation et création

Les pratiques de loisirs constituent des espaces d’analyse d’imaginaires qui révèlent la reproduction d’un ordre social dominant, de masse, et dont la présence dans le paysage culturel apparaît comme relevant d’une certaine « normalité ».

À partir de l’étude de pratiques de loisirs (temps ludiques ou pratiques musicales comme le punk) ou de sports alternatifs tels que le quidditch, le sport issu de la fiction Harry Potter, ou le roller derby, un sport sur patins américain initialement exclusivement féminin, une partie des travaux de cet axe vise à mettre en lumière l’engagement créatif des acteurs dans la production d’un ordre social « alternatif », c’est-à-dire non soumis aux modèles institutionnels traditionnels. En effet, les pratiques sportives émergentes ou alternatives constituent autant de réponses à une certaine insatisfaction, voire une « aliénation », vis-à-vis de l’offre existante, en ce qu’elles reposent sur un fonctionnement qui n’est pas celui des pratiques mainstream.

En étudiant les imaginaires qui structurent ces pratiques alternatives, il s’agit de souligner en quoi elles sont le lieu d’une certaine émancipation de cadres coercitifs, ainsi que de réflexions et d’actions collectives autour de la mise en place d’autres manières de faire. Trouvant leur terreau d’action dans des imaginaires issus de traditions contestataires comme le punk, les mouvements LGBT et féministes ou encore de fiction (le steampunk, le psychobilly, etc.), ces pratiques alternatives peuvent constituer des formes d’opposition à un ordre dominant. Dès lors, la vulgate punk do it yourself se présente comme un point d’ancrage intéressant afin de comprendre la structuration d’alternatives aux cadres traditionnels du sport et du loisir.

Jouer avec le jeu : détournements et appropriations ludiques

Dans cette continuité, le jeu au sens large (tout à la fois dispositif, pratique, attitude et structure) constitue un terrain de recherche particulièrement fécond pour aborder les possibles tensions entre des dynamiques d’appropriation et de détournement et des « manières de faire » prescrites voire imposées. Jouer revient autant à s’exprimer dans un cadre et un imaginaire prédéfini (ludique, fictionnel, de performance, etc.) qu’à renégocier ce dernier, de manière plus ou moins improvisée : l’on joue alors autant à un jeu qu’avec un jeu, voire à se jouer du jeu.

La complexité des arrangements et remédiations entre les joueurs et les jeux, entre le play et le game, se fait la plus tangible en matière de jeu vidéo, ce dispositif reposant sur l’interaction avec une structure ludique prédéfinie et non négociable. Il s’agit alors essentiellement pour les utilisateurs de se cantonner à comprendre et à respecter cette structure pour pouvoir faire fonctionner une machine vidéoludique dont ils ne sont qu’un rouage parmi d’autres. À l’imaginaire de liberté et d’expression généralement associé au jeu en général (le fun, le ludique, etc.) s’ajoute parfois en matière de jeu vidéo un imaginaire de la performance et de l’efficacité (bien jouer, optimiser son personnage, etc.), pour les concepteurs comme pour les joueurs. Pour ces derniers, restreints à des appropriations dans un cadre limité et structuré, émerge parfois l’envie de définir eux-mêmes « ce qui fait jeu », notamment en ajoutant au cadre ludique qui leur est prescrit un ensemble de règles et de manières de faire qui limite encore davantage le périmètre du jeu tout en ouvrant des perspectives d’appropriation et de création. Ces restructurations peuvent notamment être liées à des questions de temporalités, qu’il s’agisse par exemple de s’astreindre à terminer une partie le plus rapidement possible (speedruns) ou au contraire le plus lentement possible (slow plays).

Ces appropriations ont en commun avec d’autres formes de détournement de dépasser le cadre d’interaction prescrit et de permettre de s’emparer, individuellement ou collectivement, d’une forme d’auctorialité.

Pratiquer la résistance par le détournement : faire et défaire soi-même

Si leurs formes anticonformistes permettent d’identifier des pratiques en décalage avec l’offre de loisirs sportifs et ludiques mainstream, les tactiques de détournement des structures normatives ne sont pas toujours aussi aisément identifiables et se situent parfois au sein même des cadres les plus structurés.

Répondant à une insatisfaction culturelle, motivés par un intérêt communautaire ou bien porteurs de revendications politiques, l’alternatif et le do it yourself (ou do it ourselves) trouvent dans « les marges » d’un ordre dominant ou les interstices libres du jeu, des espaces au sein desquels peuvent émerger de nouveaux imaginaires. Qu’elles soient ludiques ou sportives, les pratiques alternatives se présentent dans les deux cas comme des espace-temps au sein desquels des formes de « braconnages » et des tactiques de résistance participent à l’invention d’autres manières de pratiquer.

Enfin, la question du temps traverse l’ensemble de ces réflexions. Si l’évolution de nos sociétés a conduit à une organisation temporelle dominée par un temps linéaire et progressif, cet axe permettra d’interroger en quoi les pratiques de détournement des cadres mainstream ou d’appropriation ludique constituent le lieu de production d’imaginaires du temps pluriels.